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Incipit de Mon amour.
En exergue :
"Ne pense qu'à charmer ton cœur..."
MIMNERME |
Boylesve, Mon amour
/ Barthes, Fragments d’un
discours amoureux
Nous avions annoncé, dans le message du 28 mars, une
petite expérience : relire Mon amour
de René Boylesve, à la lumière des Fragments
d’un discours amoureux de Roland Barthes.
Divertissement de confinement…
Soyons clairs : il
s’agit seulement d’observer si certaines « pistes » fournies par Barthes
(avec tant de finesse, de pertinence et souvent d’humour) permettent (ou non) d’apprécier
le « travail » de Boylesve sur le sujet qu’il a choisi de traiter… Pour
ceux qui n’ont pas encore lu ce roman ‒
ou qui l’ont déjà oublié ‒,
une petite présentation :
Mon amour (1908) est un « journal » où le diariste
enregistre (entre le 15 avril et le 25 mars de l’année suivante) la courte
histoire de son amour pour « Mme
de Pons », une femme mariée, mais provisoirement abandonnée par son mari
(un goujat qui lui a volé ses bijoux pour une escapade avec sa maîtresse, une
fille vulgaire). Cet « amour » du narrateur pour la belle épouse
bafouée se clôt avec le retour du mari repentant, qu’elle accueille avec pitié…
Blessé dans son orgueil et ses sentiments, l’amant ne cherche pas à la retenir,
le moindre indice d’hésitation de la part de l’aimée suffit à la rendre moins
« aimable », le charme est rompu !
Le titre au moins ne
triche pas, il annonce une introspection, l’analyse d’un sentiment. Il y a bien
une intrigue, mais elle est « de peu de matière », et les péripéties sont
infimes. Pour en « faire un livre », l’auteur fait voyager son
personnage (Avignon, Normandie, Italie, Aix-les-Bains, Touraine) : les
pages s’emplissent de descriptions, de souvenirs variés, c’est presque une
anthologie !
Les pages consacrées à
l’amour, dans ce « journal », sont donc elles-mêmes une écriture
fragmentaire, ce qui laisse à l’écrivain une grande liberté, peut-être un peu
trop grande, en vérité. Mais il est amusant de tenter d’utiliser quelques
points retenus par Barthes comme une grille, voire un tamis, à la recherche de…
ce qui pourrait briller !
Abréviations : MA (Boylesve, Mon amour, Calmann-Lévy, 1908) ; FR (Barthes, Fragments
d’un discours amoureux, Ed. du Seuil, 1977).
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MA : Avignon, 15 avril (pp. 2-3) : [À propos de
la « Vierge couronnée » d’Enguerrand Charonton] : « Je
note pour moi-même, et comme une coïncidence curieuse, que [...] cette
conception d’un peintre est le portrait de madame de Pons. »
FR (p 226) Le
ravissement « Tantôt, dans l’autre, c’est la conformité d’un grand
modèle culturel qui viendra m’exalter (je crois voir l’autre peint par un
auteur du passé […]).
****
MA : 6 mai (pp.
16-17) : « […] la plupart des femmes sont nées monogames. Leur
instinct les voue à un seul homme ; leur prédisposition à ne subir qu’un
mâle, un maître unique, est plus forte que leur penchant à l’amour. Elles
peuvent faillir à cette vocation d’unité, mais interrogez-les : de leur
aveu profond, leur idéal était là. »
FR (p. 20) : L’absent :
« […] la Femme est sédentaire, l’Homme est chasseur, voyageur ; la
Femme est fidèle (elle attend), l’homme est coureur (il navigue, il drague).
C’est la femme qui donne forme à l’absence […] elle tisse et elle chante […] Il
s’ensuit que dans tout homme qui parle de l’absence de l’autre, du féminin se déclare : cet homme qui
attend et qui en souffre est miraculeusement féminisé. »
****
MA : 20 mai (pp.
17-19) : « En me promenant dans Paris, j’ouvre les yeux comme un
enfant. […] Il y a des choses que je ne regardais pas. […] Je regarde tout
cela, j’y vois des merveilles […]. »
FR (p. 25) : “Adorable !” « […] Paris était adorable, ce matin-là […]. Une foule
de perceptions viennent former brusquement une impression éblouissante
[…] »
****
MA : 7 juin (p.
28) : « Chose curieuse : je ne songe pas à être l’amant de madame de
Pons ; si je le suis un jour, la force des choses aura déterminé ce
dénouement […] »
FR (p. 265) Tendresse […]
« Le geste tendre dit : demande-moi quoi que ce soit qui puisse
endormir ton corps, mais aussi n’oublie pas que je te désire un peu,
légèrement, sans vouloir rien saisir tout
de suite. »
****
MA : 15 juin P
34 : « Je lui tendis la main, pour qu’elle mît pied à terre. Un
instant court, presque inappréciable, je l’ai soutenue, elle, tout son corps,
par sa main, entre mes doigts… »
FR (p. 81) “Quand mon doigt par mégarde…”Contacts. La figure réfère
à tout discours intérieur suscité par un contact furtif avec le corps (et plus
précisément la peau) de l’être désiré. […] c’est la région paradisiaque des
signes subtils et clandestins : comme une fête, non des sens, mais du
sens. »
****
MA : 29 juin (p.
39) : « Quelquefois je regarde sa main, uniquement sa main. Je la
regarderais des heures… Est-ce que je sais seulement si elle est jolie ?
C’est sa main… »
6 septembre (p.
99) : « Elle venait tout entière au-devant de moi, je l’ai
vu : sa main, son regard, son visage, sa bouche gonflée de tendres
paroles, et ce genou qui pointait sous la robe claire d’été, et ce corps qui
venait à moi !... »
FR (p. 226) Le
ravissement : « De l’autre, ce qui vient brusquement me toucher
(me ravir), c’est la voix, la chute des épaules, la minceur de la silhouette,
la tiédeur de la main, le tour d’un sourire […] »
****
MA : 2 juillet
(p. 39) : « Mon amour s’élève ; je monte avec lui. […] Je suis
sur le vaisseau en pleine mer ; je suis dans le ballon qui plane… Comment
se fait-il que l’amour qu’on a pour une femme vous exhausse au-dessus de
vous-même ? »
FR (p. 223) Le
ravissement : « […] tout
amoureux qui reçoit le coup de foudre a quelque chose d’une Sabine (ou de
n’importe laquelle des Enlevées célèbres. […] »
FR (p. 39) : Aimer
l’amour. « Annulation : Bouffée de langage au cours de
laquelle le sujet en vient à annuler l’objet aimé sous le volume de l’amour
même : par une perversion proprement amoureuse, c’est l’amour que le sujet
aime, non l’objet. »
****
MA : 25 juillet
(p. 62) : « Ces séparations [les vacances] se font comme une
opération chirurgicale : on en parle peu à l’avance, juste assez ; le
jour et l’heure sont fixés, on se rend à l’endroit voulu, et, en un tour de
main, c’est exécuté. Il ne reste plus que la convalescence à traîner en
longueur. »
(p. 65) :
« […] nous nous serrâmes la main, sans sourire, et sans nous être dit qu’“au revoir, au revoir !”
Une fois dehors, je fus
saisi d’un désespoir à me rouler par terre. »
FR (p. 111) L’écorché. « Sensibilité
spéciale du sujet amoureux, qui le fait vulnérable, offert à vif aux blessures
les plus légères. »
****
MA : 27 octobre
(p. 173) : « Depuis sept ou huit ans, j’avais conquis la paix, c’est-à-dire que les plaisirs de
l’intelligence dominaient, domptaient presque ceux de la chair et du cœur.
Me voilà ! Je
méprise tout : baiser la bouche d’une femme, tout est là ! Et vite,
vite, car je me dégrade et meurs tous les jours. »
FR (p. 225) Le
ravissement. « […] je ne tombe jamais amoureux, que je ne l’aie
désiré ; la vacance que j’accomplis en moi (et dont tel Werther,
innocemment je m’enorgueillis) n’est rien d’autre que ce temps, plus ou moins
long, où je cherche des yeux, autour de moi, sans en avoir l’air, qui aimer. »
****
MA : 25 février
(p. 223) : « Je me tiens le plus décemment que je peux. Mais comme
j’embrasserais quelqu’un qui oserait me dire : “Mais pleurez donc, mon ami !...” »
FR (p. 213) Éloge des
larmes. « […] en 1199, un jeune moine se mit en route vers une abbaye
de Cisterciennes, dans le Brabant, pour obtenir par leurs prières le don des
larmes. »
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Pour… ne
pas conclure :
On devine aisément le caractère distrayant (mais spécieux)
de l’exercice…
Puissent surtout ces fragments de "fragments" donner envie de lire ou de relire ces deux auteurs !
Le choix du "tamis" et celui des "trouvailles" sont évidemment très subjectifs, et le résultat toujours incomplet et provisoire.
Nous ne sommes pas surprise d'avoir confirmé (?) que Boylesve est capable d'explorer le sentiment amoureux, mais la personnalité de son narrateur n'a pas pris (hélas !) plus d'épaisseur, ni de densité, à nos yeux.
Peut-être l'auteur a-t-il voulu associer et confondre deux démarches : l’introspection du personnage imaginaire, et sa propre méditation sur LE sentiment amoureux, dans un assemblage qui sent trop
souvent l’artifice, l'écriture... "littéraire", (comme le suggère d'ailleurs la citation du poète grec Mimnerme mise en exergue) ?
Un fragment de Roland Barthes pourrait bien, justement, éclairer l'impasse dans laquelle, nous semble-t-il, Boylesve s'est fourvoyé, en faisant "écrire" un diariste :
FR (pp. 112-115) Inexprimable
amour. « Écrire. Leurre, débats et impasses auxquels
donne lieu le désir d’“exprimer” le sentiment amoureux dans une “création” (notamment d’écriture). […]
Je ne puis m’écrire. Quel est ce moi qui s’écrirait ?
Au fur et à mesure qu’il entrerait dans l’écriture, l’écriture le dégonflerait,
le rendrait vain. […] Ce qui bloque l’écriture amoureuse, c’est l’illusion
d’expressivité : écrivain, ou me pensant tel, je continue à me tromper sur
les effets du langage : je ne
sais pas que le mot “souffrance” n’exprime aucune souffrance et que, par conséquent,
l’employer, non seulement c’est ne rien communiquer, mais encore, très vite,
c’est agacer (sans parler du ridicule). […]
Vouloir écrire l’amour,
c’est affronter le gâchis du langage […] »
Dont acte !
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N. B. : pour rendre justice à Boylesve, qui a été mieux inspiré par la suite, il faut rappeler que Mme de Pons réapparaît dans Souvenirs du jardin détruit (1924) en tant que jeune femme autrefois aimée du narrateur ; ce dernier, cette fois, s'intéresse à un "cas d'amour" qui n'est pas le sien : celui du Dr Barégère, très amoureux de son épouse, mais incapable (malgré tous les efforts de sa volonté) de renoncer à sa maîtresse… Une réussite "littéraire" ! (Bois originaux de Maximilien Vox, coll. Le livre moderne illustré, Editions Ferenczi ).
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Recommandation :
Nouvelle édition augmentée,
éditée par les Amis de René Boylesve :
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