DE LA TOURAINE AUX ÎLES BORROMEES
Grâce à Hélène Barret, une présentation de René Boylesve et de ses deux romans "italiens", sur le blog tenu par Erwan Le Vourch :
Merci à eux pour leur initiative, et pour leur talent, dont ils ont accepté de nous faire bénéficier... puisque nous vous donnons ici une copie partielle de leur production.
De l’Indre et Loire aux rives du Lac Majeur
"La Reine Marguerite, beau vapeur blanc du lac Majeur, alluma ses feux en quittant Pallanza, et s’engagea dans l’anse magnifique qui contient les Îles Borromées. La chaleur ayant été accablante, les passagers se félicitaient de ressentir la première fraîcheur du soir. Les uns prenaient plaisir à discerner, sur la gauche, les contours opulents de l’Isola Madre, l’Île Mère, tachant l’ombre de sa grosse masse obscure ; les autres, à regarder naître au long des contours capricieux du lac, les mille lumières des embarcadères, des hôtels et des villas. Mais un charme très spécial, et nouveau pour la plupart d’entre eux, venu du lac que la nuit flattait, ou bien des rives fleuries de lauriers-roses, enveloppait et pénétrait jusqu’aux natures les plus insensibles."
Ces lignes sont le début d’un roman écrit en 1898 : Le Parfum des Îles Borromées. L’auteur est René Boylesve et, il faut se rendre à l’évidence, en 2020, les Français ont oublié son nom. Pourtant il fut célèbre en son temps et, en 1918, l’Académie française en fit un immortel en l’élisant au fauteuil 23.
René Tardiveau vient au monde à Descartes, alors la Haye-Descartes, le 14 avril 1867. Son père était notaire dans cette petite ville de province. René perd sa mère le jour de ses quatre ans et il va être recueilli, près de sa ville natale, à la Barbotinière, propriété de sa grand-tante. René commence ses études à Poitiers, les poursuit à Tours, mais, dès le baccalauréat en poche, il gagne Paris avec la ferme intention de devenir écrivain. Il écrit des contes, des nouvelles dans des revues La Plume, L’Ermitage et, en 1893, il se décide pour un pseudonyme. Ce sera Boylesve, le nom de sa mère, légèrement modifié. Son premier roman paraît en 1896 : Le Médecin des dames de Néans a pour cadre sa Touraine d’origine et la ville de Descartes y est rebaptisée Néans, tout un programme ! Il est vrai que la vie parisienne est beaucoup plus animée.
René Boylesve aime les femmes et les femmes le lui rendent bien, ses aventures amoureuses sont nombreuses. En 1894, Boylesve découvre l’Italie. Ce n’est pas original, depuis la Renaissance tous les artistes ont traversé les Alpes et Boylesve ne fait pas exception. Ses séjours italiens lui inspireront deux romans : Sainte-Marie-des-Fleurs et Le Parfum des Iles Borromées.
Sainte-Marie-des-Fleurs paraît en 1897. Le titre, inspiré du célèbre Duomo de Florence, est le surnom de l’héroïne, Marie. Une jeune fille chaste donc, mais dont l’intelligence, la sensibilité et la séduction ravissent le narrateur, André. Ce dernier, séducteur blasé, trouve rafraichissant cet amour platonique et qui devra le rester, puisque Marie est fiancée à un riche industriel. Les sentiments des amoureux doivent donc être sublimés, et l’auteur choisit pour eux l’écrin de l’Italie, avec Venise, et surtout Florence, où ils peuvent « communier » devant les fresques de Fra Angelico… Les péripéties romanesques sont un peu artificielles, révélant que l’auteur cherche à dramatiser, de façon plus ou moins conventionnelle, avec duel et tentative de suicide, une histoire simple, une idylle condamnée d’avance. Cette histoire est pourtant autobiographique : Marie a vraiment existé, et René Boylesve l’a aimée (de façon platonique, oui, oui), et il a pieusement conservé les lettres et billets de la jeune fille, après les avoir largement utilisés dans son roman ! Cette correspondance de Marie se trouve désormais dans le Fonds Boylesve de la BM de Tours.
Le Parfum des Îles Borromées paraît en 1898. Le texte remanié eut plusieurs rééditions mais c’est, sans conteste, la première qui est la plus intéressante. Longtemps introuvable, cette édition « originale » est désormais accessible grâce au système « reprint » : voir, par exemple la publication des éditions Dodopress… Gabriel Dampierre séjourne à Stresa sur les bords du lac Majeur en compagnie d’un ami anglais : le poète Dante-Léonard-William Lee. Sur le bateau, juste avant d’arriver, Gabriel aperçoit madame Belvidera et il tombe éperdument amoureux. Gabriel et Luisa Belvidera se retrouvent à l’Hôtel des Îles Borromées et, cette fois, la relation n’est pas platonique. Le cadre des îles, les jardins se prêtent à la volupté.
D’autres voyageurs séjournent à l’hôtel : des bourgeois ridicules, les Chandoyseau, un pasteur anglican : le révérend Lovely amoureux de madame Chandoyseau et leurs aventures sont un contrepoint amusant à la frénésie amoureuse de Gabriel et Luisa. Dante, l’ami anglais, se rapproche de Carlotta, la belle marchande de fleurs. Mais l’atmosphère s’assombrit. Carlotta est poignardée par son fiancé jaloux, et le mari de la belle Luisa rejoint son épouse. Gabriel comprend alors que Luisa ne quittera pas son mari et que leur relation ne fut pour elle qu’un agréable divertissement. Il est le dernier à quitter l’hôtel : il avait senti expirer le parfum des Îles Borromées
***
En 1901, René Boylesve épouse Alice Mors, fille de Louis Mors,
riche industriel d’origine belge qui, avec son frère Émile, fut un des
pionniers de l’automobile, (la firme Mors étant l’ancêtre
de la maison Citroën). Marie, la sœur de Boylesve, avait épousé Émile et c’est
donc par son intermédiaire que Boylesve rencontra celle qui devint son épouse.
La fortune d’Alice, fille unique de Louis, fut sans doute un élément décisif
dans le choix de René. Les parents d’Alice firent construire pour le couple un
hôtel particulier, rue des Vignes, dans le XVIe arrondissement. Le
couple n’eut pas d’enfants. En 1914, quand commence la grande guerre, René et
Alice sont à Deauville, dans la propriété des parents d’Alice, la Tour Carrée.
Alice, immédiatement, décide de se rendre utile et devient infirmière, René est
déprimé, inquiet, et Alice lui présente une jeune femme, Betty Halpérine qui
restera à ses côtés quand Alice, lassée des frasques nombreuses de son mari,
choisira de s’éloigner définitivement. Le couple ne divorça pas, et conserva
des liens amicaux, Alice s’installe à Rébénacq auprès d’un nouveau compagnon
qu’elle épousera après le décès de Boylesve. René Boylesve meurt d’un cancer en
1926 et il repose au cimetière de Passy.
Boylesve a développé quelques thèmes essentiels : l’amour, la méfiance à l’égard du progrès symbolisé par l’automobile, cette invention qui pourtant assura la notoriété de la famille Mors, et les souvenirs de sa Touraine natale, aimée et haïe à la fois. Mais Boylesve n’est pas « un rêveur à la nacelle », il manie l’ironie, souligne les ridicules et il a connu un immense succès avec La Leçon d’amour dans un parc, texte grivois dans la veine des romans licencieux du XVIIIe siècle.